Université Saint-Louis - Bruxelles
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Sophie Klimis et Cornelius Castoriadis, parution du premier tome d'une trilogie

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Dans le dernier numéro de la Link@lumni, nous mettions en lumière les interventions dans les médias et publications scientifiques de nos chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales (SHS) dans le contexte de la crise sanitaire. Notre université regorge en effet d'expertises diverses et variées et cette rubrique est l'occasion de partager avec vous la vitalité de la recherche à Saint-Louis.

 

Dans ce numéro, élevons-nous au-dessus du contexte sanitaire et philosophons un peu.

 

Florence Gosselain (Service d'administration de la recherche) est allée à la rencontre de Sophie Klimis, professeure de philosophie à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, à l'occasion de la sortie du premier volume de sa trilogie dédiée au penseur grec contemporain, Cornelius Castoriadis (1922-1997).

 

La professeure-philosophe vient de publier aux Presses Universitaires de Paris Nanterre, dans la collection Au détour des Anciens, Le penser en travail. Castoriadis et le labyrinthe de la création humaine. Polis. De la société capitaliste à la cité des Athéniens¹.

 

Au tout début, un professeur d’humanité inspirant

Sophie Klimis nous confie que son attrait pour les philosophes de l’Antiquité grecque remonte à l’époque de ses humanités où elle a pu bénéficier des enseignements « d’un professeur de latin/grec extraordinaire », qui l’a sensibilisée à l’éclairage « décalé » que l’étude des Anciens peut prodiguer sur l’époque contemporaine. Le titre de la collection dans lequel s’inscrit l’ouvrage, Au détour des Anciens, est ainsi à son estime une heureuse réussite.

 

Une rencontre intellectuelle comme une évidence

En 1996, Sophie Klimis rédige son mémoire de fin d’études en philosophie, consacré à la Poétique d’Aristote, dans le cadre duquel elle s’intéresse aussi à sa théorie novatrice de l’imagination. Au cours de ses recherches bibliographiques, elle découvre incidemment Castoriadis dans la littérature dite secondaire. Ce n’est que plus tard, en 2003, dans le cadre de la publication de sa thèse de doctorat dédiée à l’archéologie du sujet tragique, que la philosophe redécouvre Castoriadis au détour d’une visite en librairie, où un ouvrage du philosophe attire son attention. Sur le chemin de vie intellectuel de Sophie Klimis, la rencontre avec la pensée de Castoriadis agit comme une évidence, à la croisée de plusieurs des voies que la jeune philosophe de l’époque a commencé à explorer, « la confirmation d’un chemin emprunté », une pensée « qui guide et aide à s’orienter ».

 

Castoriadis, un surdoué au parcours kaléïdoscopique

Castoriadis a connu un parcours à la fois atypique et multidisciplinaire : gamin surdoué, il dévore des traités de philosophie dès l’âge de treize ans ; il a connu plusieurs exils, d’abord de Constantinople (ancien nom d'Istanbul) en Turquie, vers la Grèce, ensuite comme jeune communiste en pleine Seconde Guerre mondiale ; son existence quasi schizophrénique entre son emploi comme économiste à l’OCDE (1948-1970) et dans le même temps, sa « démolition critique du système capitaliste » ; son métier de psychanalyste dès la fin des années 60 ; celui d’enseignant en philosophie à l’EHESS dans les années 80, par lequel il faisait « découvrir la vitalité de textes vieux de plus de deux mille cinq cents ans aux jeunes générations » ; autant de vies multiples qui l’ont amené à fonder une pensée riche, incarnée, labyrinthique.

 

Castoriadis, un philosophe engagé qui n’a jamais voulu être un penseur en chambre

Une des spécificités de Castoriadis réside dans sa volonté de penser l’époque contemporaine, de toujours partir du réel. S’inscrivant en cela dans une filiation qui va d’Aristote à Marx, Castoriadis est d’abord attentif à la complexité de ce qu’il appelait le « social-historique », dont il tente d’élucider la singularité plutot que de plaquer une grille conceptuelle pré-établie sur les événements. Castoriadis est certes un intellectuel, mais qui a fait le pari de l’engagement, aussi bien dans son action que dans sa pensée : en créant et en animant durant des années la revue et le groupe Socialisme ou Barbarie, il a tenté de réfléchir tant le Mouvement ouvrier que Mai 68, ainsi que la spécificité des sociétés capitalistes et des sociétés communistes, forgeant pour ce faire de nouveaux concepts de philosophie politique.

 

Un goût pour les Anciens, mais pas une histoire d’antiquaires

Castoriadis nous invite à relire les anciens Grecs du point de vue de la « modernité » du projet indissociablement politique et philosophique que contiennent déjà en germe les textes d’Homère, des Tragiques et d’Aristophane, ainsi que des sophistes et de Thucydide. Car pour Castoriadis, la philosophie de Platon et d’Aristote est seconde, elle « répond » à ce grand moment de la pensée grecque qu’il avait baptisé « la création grecque » et qu’il situe entre le VIIIe et la fin du Ve siècle av. J.-C. Il apparaît comme un guide extraordinaire dans leur interprétation, sous le sceau de leur apport résolument moderne à une pensée politique. « Car les grands textes philosophiques sont aussi des textes politiques. »

 

Vitalité contemporaine de Castoriadis

Des Cahiers Castoriadis, et Journées Castoriadis, en passant par le réseau de recherche international Social Imaginary and Creation–Imaginaire Social et Création, jusqu’aux revues interdisciplinaires, colloques, journées d’études, éditions posthumes, thèses de doctorat, le philosophe suscite un intérêt international et intergénérationnel. Dans ce paysage de dynamisme intellectuel autour de Castoriadis, Sophie Klimis a, pour sa part, joué un rôle central dans la diffusion de l'oeuvre du penseur au sein du monde universitaire.

 

Polis, le premier volume d’une trilogie

Le projet avait pour ambition initiale de rassembler plusieurs articles dédiés au penseur. Il est devenu une somme de 15 ans de recherche en trois ouvrages, dont les deux suivants sont en passe d’être finalisés. Chacun des volumes se concentre sur la question du sujet et sur celle de la démocratie au travers des prismes qui n’ont cessé de traverser l’œuvre de Castoriadis : la politique (polis), la psychanalyse (psyché) et la philosophie (logos).

 

« Polis s'adresse aux personnes qui s'intéressent à la philosophie politique contemporaine, à la « démocratie radicale » et aux mouvements sociaux et politiques actuels, ainsi qu'à celles qui, depuis une perspective d'histoire de la pensée critique, s'intéressent à l'antiquité grecque pour mieux saisir, grâce à l'écart de la comparaison différentielle, ce qui fait la singularité de notre temps. »

 

 

En bref

Ce premier ouvrage s’adresse certes à un public de lecteurs et lectrices érudit·e·s déjà familiarisé·e·s avec la langue des écrits philosophiques, mais il passionnera aussi le citoyen ou la citoyenne curieux·se qui souhaite recevoir un éclairage sur les faits politiques contemporains à la lumière de la pensée de Castoriadis, créatrice, foisonnante, « complexe et inclassable ».

 

Sophie Klimis est professeure ordinaire à l’Université Saint-Louis. Elle enseigne dans les Facultés de droit et de philosophie, lettres et sciences humaines.

 

¹ KLIMIS Sophie, "Le penser en travail. Castoriadis et le labyrinthe de la création humaine. Polis. De la société capitaliste à la cité des Athéniens" (Au détour des Anciens), Presses Universitaires de Paris Nanterre, nov. 2020, 442p.

 

FG

Link@lumni n°31 - Hiver 2021

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